GAUCHE UNITAIRE : APRES LE 10 DECEMBRE…
Par Jean-Luc Gonneau
Comme
on le sait sans doute, la réunion nationale des collectifs pour des
candidatures unitaires pour une alternative au libéralisme, convoquée
les 9 et 10 décembre pour désigner un(e) candidat(e) à
l’élection
présidentielle n’a pu aboutir à une décision. La presse a fait écho,
parfois en s’en gaussant, à cet échec. Pour autant, les ponts ne sont
pas coupés, et les collectifs ont mandaté leur instance nationale pour
rechercher une solution. Pourquoi cet échec ? Quelles pistes pour
aboutir ?
Pourquoi cet échec
La
méthode choisie pour aboutir à une candidature commune n’est pas des
plus simples. Soyons positifs et disons qu’elle est innovante. Baptisée
« double consensus », elle suppose un accord au niveau des collectifs
locaux et des organisations membres du collectif. La notion de
consensus est bien différente de celle de majorité : elle implique un
accord sinon unanime, du moins partagé par le plus grand nombre.
Le
mouvement regroupe des collectifs locaux de tailles différentes (de
quelques personnes à deux ou trois centaines). La composition de ces
collectifs est également très variable : présence dans certains de
militants de diverses organisations, d’une seule (souvent le PCF) dans
d’autres, participation de citoyens non adhérents à des organisations
très variable. Chaque collectif étant autonome, les votes pour désigner
un candidat ont pris des formes différentes : uninominal, préférentiel
à 3, 4 ou 5 candidats, pondérés ou pas par des coefficients, consensus
sur un ou deux noms, refus de choisir, et on en passe. Comptabiliser
les résultats, dans ces conditions, devient une opération à haut degré
d’approximation.L’analyse
des résultats des réunions des collectifs locaux est cependant riche
d’indications. Ainsi, nul ne peut contester que Marie-George Buffet est
la personne la plus souvent désignée. A-t-elle obtenu une majorité
absolue ? Ce n’est pas évident, et de plus a peu de sens dans la mesure
où c’est la notion de consensus qui s’applique, et non celle de la
majorité. Mais il faut retenir qu’une partie importante des membres des
collectifs propose la candidature de Marie-George
Buffet. Le poids
numérique du PCF par rapport aux autres organisations n’y est pas pour
rien, d’autant que la direction du parti a fortement pesé pour
mobiliser ses adhérents autour de ce vote. Bien des communistes dont la
présence dans les comités était épisodique, voire inexistante, ont
participé au vote. On peut aussi estimer que ce poids important du PCF,
qui n’est pas une surprise, sauf naïveté, souligne en creux la
difficulté des collectifs à mobiliser très au-delà des cercles
militants. Même si on peut citer de nombreuses exceptions, la majorité
des collectifs est animée par des militants aguerris, blanchis sous le
harnois de nombreux combats, familiers de langages codés qui ne sont
pas forcément les mieux à même de susciter l’enthousiasme d’éventuels
nouveaux arrivants (mais il y en a quand même, le tableau n’est pas
tout noir).
Concernant les autres candidats, les premiers procès
verbaux reçus des collectifs locaux ont montré que la candidature de
José Bové recueillait un faible assentiment. Ce constat a-t-il joué
dans son retrait ? Simple hypothèse. Il en a été de même pour Patrick
Braouzec, ce qui est moins surprenant dans la mesure où sa notoriété
nationale est moindre que celle du leader altermondialiste. Par contre,
de nombreux collectifs ont accueilli favorablement les candidatures de
Clémentine Autain et d’Yves Salesse, avec un léger avantage pour la
première. Résultat sans doute, pour Yves Salesse, d’une présence forte
dans l’animation de la campagne référendaire et dans les meetings des
collectifs locaux, Clémentine Autain bénéficiant d’une présence
médiatique plus soutenue, au point, parfois, d’en agacer certains (ah,
les jaloux…). Ajoutons que la différence de « ligne politique » entre
eux deux et même Patrick Braouzec est ténue, ce qui a pu exacerber
certains critères positifs ou négatifs (par exemple, lus dans les
comptes rendus de collectifs : la jeune – positif – mais inexpérimentée
–négatif -, le technocrate – négatif – mais compétent –positif).
Les
votes sur des personnes ont toujours des effets pervers. D’autant que
le contexte très particulier de cette consultation (le consensus comme
principe directeur) a pu entraîner des motivations de vote très
différentes : celle, « classique », du candidat que je préfère, celle
du candidat qui me parait le plus à même de rassembler les composantes
des collectifs, celle du candidat qui est le plus susceptible d’être
accepté par toutes ces composantes. C’est ce dernier cas qui semble le
plus proche du principe de consensus. Ce fut loin d’être celui
majoritairement pris en compte par les participants au vote. On peut
lui reprocher de définir un plus petit commun dénominateur a priori
réducteur, mais on ne peut lui dénier un caractère rassembleur. Au
fond, la question posée n’était-elle pas « quels sont, parmi le
candidats, ceux qui ne vous paraissent pas faire consensus ? ». Voila
qui eut pris à rebrousse poil les traditions électives de notre pays,
mais, après tout, tant qu’à innover…
Une conséquence de ce contexte
imprécis, sans doute amplifié par la proposition de candidature de
Marie-George Buffet par le PCF sans réelle alternative de sa part, a
polarisé le débat sur le dilemme
« pour ou contre Marie-George »,
sans que soit, sauf pour une partie des collectifs, vérifiée la qualité
consensuelle des autres candidatures, notamment celles de Clémentine
Autain et d’Yves Salesse.D’où l’impasse des 9 et 10 décembre, qu’on
espère provisoire.
Des pistes pour aboutir
La
réunion des 9 et 10 décembre comme les résultats des réunions des
collectifs ne peuvent être mis entre parenthèses. Elles ont permis de
recueillir des informations, des contradictions, et aussi ouvert de
nouvelles portes.
Il convient d’une part de vérifier que le
dissensus exprimé sur la candidature de Marie-George Buffet, sans doute
pas majoritaire mais tout de même important, peut être surmonté. Ce
dissensus est avant tout fondé sur le fait que Marie-George Buffet est
identifiée comme la
leader du PCF, et que cette qualité donnerait
au rassemblement une image trop caractérisée dans ce sens. Au point où
en sont les choses, et sauf coups de théâtre, on voit mal comment les
points de vue, depuis longtemps identifiés, pourraient se rapprocher :
ce fut déjà le sujet d’une kyrielle de réunions, sans avancée
perceptible. Une autre question est parfois mise sur le tapis : les
sondages (qui ne sont que ce qu’ils sont, mais bon…) indique un
plafonnement de cette candidature à 2 ou 3%. Une investiture par les
collectifs serait-elle suffisante pour lui donner de l’élan et la
distancier par rapport à une étiquette « candidate du Parti » que par
ailleurs elle est aussi ? Pas évident, et à discuter.
Il convient
d’autre part de vérifier que les candidatures ayant recueilli des
suffrages moins importants mais significatifs, celles de Clémentine
Autain et d’Yves Salesse, sont susceptibles de réaliser un
consensus
significatif, et, dans la négative, d’expliquer pourquoi. A notre sens,
il nous paraît que si le consensus est possible, la candidature de
Clémentine Autain est à prendre en considération : la
rupture
générationnelle, qui n’est incarnée aujourd’hui dans l’arène des
présidentielles que par Olivier Besancenot, et la notoriété (atout
qu’il ne faut pas négliger dans le contexte électoral d’une
présidentielle) plaident en sa faveur.
Il convient enfin d’explorer
des pistes nouvelles. Trois sont apparues lors des travaux des 9 et 10
décembre. La première est l’hypothèse d’une « personnalité communiste
reconnue dans le mouvement social ». C’est apparemment une perche
tendue au PCF, mais bien illusoire : la difficulté à mettre un nom sur
cette proposition en est un signe (celui de Francis Wurtz, député
européen, a parfois été avancé dans les débats de certains
collectifs).. La seconde est le recours à Claude Debons, l’un des
piliers de la campagne référendaire. Il est très reconnu dans les
cercles militants, et très peu connu au-delà. La troisième est la
proposition de candidature de Jean-Luc Mélenchon. Elle n’a pas été
accueillie
favorablement par les composantes qui se reconnaissaient naguère dans
la notion de « pôle de radicalité », et qui peuvent en garder quelque
nostalgie. Elle a, pour ce qui concerne, des avantages évidents : très
engagé pour le Non dans la campagne référendaire, référence pour une
partie de l’électorat socialiste, qui est une des cibles privilégiées
de la gauche unitaire, Jean-Luc Mélenchon a des atouts à faire valoir.
Seront-ils suffisants pour venir à bout des réticences ? Cela aussi
mérite un débat approfondi, au delà de réactions immédiates.
De
l’analyse de ces trois hypothèses, du choix, consensuel, de l’une
d’elle dépend le succès de l’initiative des collectifs unitaires. Ce
serait bien le diable de ne pas réussir. Mais on sait que le diable est
malin.
Jean-Luc Gonneau est membre du Collectif national d’initiative pour les candidatures unitaires et de son secrétariat